Au cours de la dernière année, j'ai beaucoup réfléchi au Web sémantique et à ses bénéfices potentiels dans le domaine de l'accessibilité Web. J'aime l'idée du Web sémantique, j'aime le fait que ça semble si abstrait mais qu'en y regardant de plus prés, c'est tout à fait le contraire. J'aime aussi la vue d'ensemble que cela fournit jusqu'à nous faire croire qu'il y a quelque chose à comprendre au Web, ce vaste espace largement inapprivoisé.

Il faut dire tout de même que jusqu'à très récemment, je ne voyais pas vraiment d'utilité concrète à tout ça. Il y a quelques années, lorsque j'ai commencé à explorer ce champ d'activités, je me disais « wow, c'est vraiment cool mais jusqu'à quel point ça peut m'être utile, comment ça peut me servir pour les choses qui comptent pour moi ». À l'époque, ce n'était vraiment pas évident. Ça donnait plutôt l'impression d'une bande de rock stars du W3C qui s'amusaient. Ce « gâteau sémantique » auquel on n'en finissait plus d'ajouter des étages n'aidait en rien.

Je pense que plus que tout, plus que la notion de « réseau social », la géolocalisation, les folksomies ou la promesse d'outils nous permettant d'aller chez le dentiste sans rater le match de foot de notre fille, c'est EARL qui m'a finalement fait piger.

C'est quoi EARL ?

EARL (acronyme de Evaluation and Report Language) est essentiellement une technologie en développement au W3C visant à transmettre de l'information sur des résultats de tests. EARL a été initialement conçu pour être utilisé en relation avec des activités d'évaluation de l'accessibilité Web mais il peut également s'appliquer à l'assurance qualité et à la validation générique. Et théoriquement, EARL peut être utilisé pour communiquer de l'information à propos de tout test fait sur n'importe quel sujet.

EARL s'exprime à l'aide d'un vocabulaire RDF (Resource Description Format) et réutilise d'autres vocabulaires RDF, tels que ceux proposés par le Dublin Core Metadata Initiative (DCMI) et le projet Friend of a Friend (FOAF). Cela permet de fournir de l'information pouvant être comprise par les machines. C'est un aspect important car ça permet à différentes technologies d'utiliser et de partager l'information sur des résultats de tests (outils d'évaluation, agents utilisateurs, moteurs de recherche, etc.).

Pour la plupart des êtres humains, lire un rapport EARL serait plutôt fastidieux. Toutefois, une machine « comprendrait » immédiatement les informations transmises comme, par exemples, le genre de ressource testée, qui a effectué les tests et quand, quel standard ou ensemble d'exigences a servi de référence et si la ressource a réussi ou échoué le ou les tests. C'est évidemment un exemple très simple (basé sur une technologie toujours en développement) mais en consultant l'ébauche de Schéma et son guide, on peut trouver d'autres exemples dont certains illustrent d'autres informations complémentaires qu'il est possible d'exprimer avec EARL.

Mais pourquoi tout cela est utile ?

Supposons que vous êtes un développeur mandaté pour évaluer l'accessibilité d'un site Web qui a déjà fait l'objet d'une évaluation l'année précédente par une autre firme d'audit. Si, comme vous, cette firme a utilisé des outils capables de générer des rapports EARL, vous pourriez avoir une application qui regroupe ces informations afin de vous aider à assurer un suivi de l'évolution de la ressource pour ces évaluations. Et cela pourrait être fait indépendamment du fait que vous soyez issus d'une communauté linguistique différente. Ces données, ainsi que les informations sur des modifications apportées à la ressource depuis les tests initiaux, pourraient vous aider à identifier rapidement les besoins en formation ou les stratégies d'édition envisageables dont il faudrait tenir compte pour s'assurer que le niveau d'accessibilité du site n'empire pas lorsque les gens modifient ou ajoutent du contenu.

Ou imaginez que vous êtes un utilisateur handicapé inscrit à des activités d'apprentissage virtuel. EARL pourrait faciliter le travail de l'agent utilisateur pour vous offrir des contenus répondant à vos besoins d'adaptation, c'est-à-dire, une ressource qui dispose des fonctionnalités accessibles appropriées. Cela dépend aussi d'autres composantes, tel un profil d'utilisateur (pour un exemple voir le IMS Learner Information Package Accessibility for LIP) mais c'est tout à fait possible et EARL pourrait rendre plus fiable le rapprochement entre les ressources et les besoins.

Vous pourriez aussi être une grande entreprise qui doit se conformer au standard d'accessibilité de votre pays. Plutôt que d'afficher simplement un logo de conformité quelconque sur votre page Web, vous pourriez, à titre de preuve, fournir une déclaration de conformité qui donne accès à un rapport EARL. Vous pourriez également être un gros moteur de recherche qui souhaite inclure des critères d'accessibilité dans ses méthodes de recherche. Au lieu d'utiliser un algorithme obscur et top-secret, vous pourriez utiliser les informations fournies par des rapports EARL pour offrir des résultats de recherche en fonction de ces critères d'accessibilité.

Vous pourriez sans doute atteindre la plupart de ces objectifs avec d'autres stratégies fondées sur l'usage de métadonnées, mais la chose importante avec EARL c'est que votre déclaration est basée sur des vérifications et sur les faits déterminés par ces vérifications. Évidemment, EARL n'est pas une garantie. La crédibilité de l'information qu'il fournit repose sur certaines conditions. Notamment, les outils d'évaluation doivent interpréter correctement les exigences, dans ce cas-ci WCAG ou un autre standard associé. Par ailleurs, la personne qui effectue les tests doit également bien comprendre ces exigences. Mais dans des conditions appropriées, EARL peut s'avérer extrêmement utile.

Et où est-on maintenant ?

Pour le moment, EARL n'est pas une recommandation officielle du W3C. Il est donc important de garder en tête que les présents travaux risquent de changer ou d'évoluer à certains niveaux mais les choses semblent bien avancer. C'est d'ailleurs une très bonne nouvelle car à une certaine époque il n'était pas facile de comprendre ce qui allait advenir de tous ces efforts.

À la suite de la publication de deux ébauches de travail très sommaires, la dernière en 2002, EARL s'est retrouvé dans les limbes et peu de gens semblaient intéressés par son avenir. Mais plus récemment, le groupe de travail a été relancé et a fait beaucoup de progrès, publiant deux ébauches de travail depuis un an, la plus récente en date du 27 septembre dernier. Avec un peu de chance, on peut même voir EARL parvenir au stade d'appel aux derniers commentaires (Last Call) avant la fin de cette année.

En dépit de son présent statut non officiel, ce format est déjà en usage et dans certains cas, depuis quelques années maintenant. Par exemples, la version en développement de l'outil d'évaluation WAVE de Webaim génère des rapports EARL de même que AChecker et A-Prompt du ATRC, AccVerify de HiSoftware, Hera de la Fondation Sidar, Accessibility Valet de Webthings et la version logicielle de TAW3 de la Fondation CTIC. Le projet Opquast est un autre exemple d'application. Ce service d'assurance qualité permet aux utilisateurs d'assurer le suivi de leur site Web pour ce qui a trait à l'ensemble de bonnes pratiques Opquast. EARL est un des formats offerts pour les rapports de conformité.

D'autres expérimentations sont en cours en Europe par le biais du projet WAB Cluster. BenToWeb développe l'outil « Imergo », un plugiciel pour l'outil d'édition RedDot, qui peut exporter des rapports EARL. Bien que cette fonction d'exportation soit encore en voie d'expérimentation, on s'en sert actuellement dans le cadre d'un autre projet, le European Internet Accessibility Observatory (EIAO). Il s'agit essentiellement d'un gros robot qui tente de surveiller la conformité des points de contrôle automatiques de WCAG des sites Web. L'EIAO utilise donc EARL pour saisir les résultats de divers outils et les traiter en interne.

Visiblement, plusieurs acteurs reconnaissent la grande valeur de cette technologie et on peut s'attendre à ce que plusieurs autres, des fabricants d'outils aux développeurs et aux décideurs, suivent le pas.

Où peut-on en apprendre plus ?

La page d'accueil du Groupe de travail « Evaluation and Repair Tools » est l'endroit tout indiqué pour débuter. On peut y trouver toute l'information officielle du W3C au sujet des travaux passés, en cours et associés. De plus, le coordonnateur du groupe de travail, Shadi Abou-Zahra, est toujours d'une grande aide. En effet, il m'a été d'un grand soutien et je n'aurais pas pu obtenir une meilleure compréhension de EARL sans lui.

Malheureusement, il n'existe pas beaucoup d'informations à l'extérieur du W3C pour le moment, surtout pour des publics possédant des connaissances techniques limitées. Et l'information qu'on réussit à trouver est principalement disponible en anglais.

Mais à mesure que les travaux avanceront, il est à espérer que de plus en plus de gens vont s'informer davantage, participer à la diffusion d'informations et à l'adoption de cette technologie vraiment géniale. Ainsi, il y a tout lieu de croire que EARL pourra s'attendre à un très bel avenir.


Cet article fut originalement diffusé en anglais sur mon blogue le 06 octobre 2006. Mille mercis à Jean-Pierre Villain pour sa révision de la traduction.

Catherine Roy (31 octobre 2006)