Difficile de résumer en quelques mots la réalité de 750 millions de personnes. Des personnes qui représentent tant d’histoires, tant de luttes, des défaites cuisantes et des victoires importantes aussi.

Oui, bien sûr, de prime abord, les personnes handicapées se caractérisent par leur déficiences, qu’elles soient visuelles, auditives, motrices, cognitives ou psychiques. Cela est certainement un facteur important dans la construction et l’évolution de leur identité. Mais, au-delà de ces limitations fonctionnelles, qui sont-elles ?

Une connaissance, un voisin, un proche, un ami, un parent, vous, moi, jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, humains. Nous représentons tous les peuples de la planète. Nous habitons les pays déchirés par la guerre, qui multiplient notre communauté, et les nations prospères et paisibles qui, quant à elles, nous ignorent ou ont souvent bien du mal à nous accepter. Nous faisons partie de grandes familles ou sommes seules et sans ressources. En fait, nous sommes l’image même de la diversité des sociétés, de leur capacité et de leur force à s’adapter.

Mais au-delà de cette grande diversité, une réalité commune nous confronte depuis toujours : l’exclusion. Nous sommes, en grande majorité, exclus des structures et des programmes éducatifs, exclues du marché de l’emploi. Dans un monde où la culture du corps devient obsessionnelle, où la compétition se joue sur le paraître et la performance physiques plus que sur les compétences, on comprend facilement pourquoi les personnes handicapées sont exclues et que cette exclusion puisse trop souvent, inévitablement conduire à la pauvreté ou voire, à l’extrême pauvreté. Trop nombreuses sommes-nous à ne même pas avoir accès à des services de base pour assurer notre simple subsistance, qu’il s’agisse de services médicaux, de prévention, d’habitation décente, d’accès au transport et aux lieux publics, etc., etc.

Bref, une majorité de personnes handicapées à travers le monde n’a aucune prise sur sa propre destinée. Nous sommes trop souvent perçues comme des « bénéficiaires » et non comme des « acteurs » de la société. Encore aujourd’hui, notre exclusion est sociale, politique, culturelle, systémique.

Ce contexte est important pour comprendre d’où nous venons et ce que nous sommes prêt à entreprendre ensemble. Car malgré tout, un but commun nous anime aussi depuis toujours : celui de prendre notre place au sein de la société, ici et maintenant, et aussi au sein d’une société en émergence, celle de l’information.

Cette société en émergence a repoussé les frontières du possible à tant de niveaux que c’en est étourdissant. L’accélération des 10 dernières années a donné naissance à des outils de communication et de création puissants, à des réseaux universels. Les innovations auxquelles nous tous sommes aujourd’hui familiarisés auraient défié l’imagination la plus fertile il y a à peine 20 ans. Bien entendu, cette course effrénée laisse beaucoup de monde à la dérive. Les personnes handicapées sont de ceux qui tentent tant bien que mal de suivre la vague sans s’échouer.

J’avoue que c’est un peu ironique de penser que les technologies, qui historiquement ont grandement contribué à l’intégration des personnes handicapées, en ce qui concerne notamment l’aide à la mobilité, l’adaptation, la réadaptation, la facilitation des communications, l’apprentissage, puissent aujourd’hui devenir une source d’exclusion supplémentaire pour beaucoup d’entre nous. Au point tel que de nombreuses initiatives ont été mises sur pied partout dans le monde, des normes élaborées, des politiques et législations proposées, adoptées, ignorées, réactivées…

Et pourtant, c’est vraiment extraordinaire ce qui se produit lorsque les personnes handicapées ont accès aux technologies, lorsque nous avons l’opportunité de participer à la société de l’information. Des réseaux d’action, d’échanges, d’entraide, de promotion se développent, des contenus riches de nos expériences et perspectives singulières rayonnent. Une véritable culture, celle de ma communauté, se développe, se renouvelle et se propage de par le monde grâce aux outils technologiques. Et le monde ne peut que s’en retrouvé enrichi.

La vérité est toutefois que cela reste largement inaccessible pour une grande majorité de personnes handicapées. Pour certaines, elles sont aux prises avec des besoins beaucoup plus vitaux, des besoins qui demeurent toujours sans réponse. Pour d’autres, elles n’ont pas l’opportunité d’acquérir les connaissances, les conditions financières ou techniques nécessaires. Et pour beaucoup d’autres encore, les développements technologiques ne tiennent tout simplement pas compte de leurs différences.

Le Brésil a fait des efforts considérables pour ouvrir la société de l’information aux 25 millions de Brésiliennes et Brésiliens handicapés. En adoptant le décret 5296, en signant la Convention internationale sur les droits des personnes handicapées promue par l’ONU, le Brésil a témoigné de sa volonté d’améliorer les conditions de vie de ses citoyennes et citoyens handicapés, de développer les accès à la culture, à l’éducation, à l’emploi, de leur ouvrir les espaces physiques, géographiques, ou virtuelles…

Dans le cadre de cet échange, vous m’avez invité à poser une question au Ministre de la Culture du Brésil, Monsieur Gilberto Gil. Mais en fait, si vous le permettez, j’en aurais trois. Et l’objectif des questions qui me viennent à l’esprit est de pouvoir retirer de l’expérience de son pays des enseignements transférables ici ou ailleurs.

D’une part, quelles initiatives le Brésil a-t-il mis en œuvre pour concrétiser cette volonté d’ouverture ?

Que reste-t-il à faire au Brésil pour s’assurer que les brésiliennes et brésiliens handicapés puissent prendre une part active, pas seulement en tant que consommateurs mais également en tant qu’acteurs et gardiens d’une culture, au développement de la société de l’information au Brésil ?

Et finalement, comment le Brésil contribue-t-il au développement et au rayonnement de la culture numérique pour toutes les personnes handicapées, citoyennes du monde ?


16-02-2008