Bonjour et merci de m'avoir invitée à participer à cette activité. Mon intervention aujourd'hui porte sur l'accessibilité des ressources numériques pour les personnes handicapées afin d'alimenter vos réflexions au sujet de certains enjeux qui se posent en matière de production de ressources d'enseignement et d'apprentissage. Ma présentation abordera donc les points suivants :

Dans un premier temps, il serait utile de définir ce qu'on entend par accessibilité. Il n'est pas toujours facile de définir ce concept parce que l'accessibilité est une notion relative et contextuelle et la définition qu'on en donne dépend beaucoup de la portée et du contexte du questionnement.

Plusieurs champs d'activités réfèrent donc à l'accessibilité mais en donnent souvent une définition très différente. Dans le cas qui nous intéresse, nous nous en tiendrons au contexte des technologies et plus particulièrement, aux ressources Web.

Accessibilité aux technologies de l'information et des communications

De manière plus large, lorsqu'on parle d'accessibilité aux technologies de l'information pour les personnes handicapées, cela signifie que ces technologies (sites Web, logiciels, équipements informatiques, téléphonie, kiosques d'information et guichets de services automatisés, etc.) sont utilisables par les personnes handicapées, peu importe leurs incapacités (quelles soient motrices, sensorielles ou cognitives) ou les moyens d'adaptation employés pour pallier celles-ci.[1]

La Web Accessibility Initiative (WAI) du World Wide Web Consortium (W3C), dans son document Introduction à l'accessibilité du Web[2], explique que « l'accessibilité du Web signifie que les personnes handicapées peuvent utiliser le Web. Plus précisément, l'accessibilité signifie que le Web est conçu pour que ces personnes puissent percevoir, comprendre, naviguer et interagir de manière efficace avec le Web, mais aussi créer du contenu et apporter leur contribution au Web. » On ajoute que l'accessibilité peut également bénéficier d'autres personnes, notamment les aînés, dû à des capacités qui changent avec l'âge.

Accessibilité universel

L'accessibilité pour les personnes handicapées fait partie d'une notion plus large, celle de l'accès universel ou ce que certains appellent « l'accès pour tous ».

L'accès universel réfère à un ensemble de conditions liées à la disponibilité des ressources, l'interopérabilité, la connectivité, l'utilisabilité, la langue, etc. Par exemple, le W3C nous dit que l'accès universel (ce qu'il appelle maintenant le « Web pour tous ») vise de « rendre les bénéfices du Web disponibles à tous, quel que soit leur matériel, leur logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique ou leurs aptitudes physiques ou mentales. »[3]

Certains ajouteront aussi à la notion d'accès universel des considérations économiques (abordabilité[4]), la formation et les connaissances nécessaires, comme cela s'est vu dans le cadre des travaux faits lors du Sommet mondial sur la société de l'information.

Contexte

Si l'on se reporte une quinzaine d'années en arrière, le paysage était très différent sur le Web[5]. Un environnement textuel utilisé par les chercheurs et quelques milieux très spécialisés, les enjeux en matière d'accès pour tous n'étaient pas vraiment une préoccupation à cette époque. Mais rapidement, le visage et les usages de ce réseau ont changé : les premiers navigateurs graphiques et ensuite les éditeurs de contenus wysiwyg (what you see is what you get) sont apparus, les développeurs ont commencé à être plus « créatifs » avec les langages de programmation Web qui à la base n'étaient pas conçus pour ça, des nouvelles technologies Web ont été développées et le Web s'est rapidement étendu à toutes les sphères d'activités humaines, ou presque.

Le W3C, fondé en 1994, s'est imposé comme responsable de facto en matière d'élaboration de standards Web. L'organisme a publié HTML 4[6] en 1997 qui incluait pour la première fois des notes sur l'accessibilité. Mais on reconnaissait que ça prendrait une initiative plus musclée pour assurer que tous puissent réellement bénéficier de ces développements, notamment les personnes handicapées.

La même année, le W3C a donc mis sur pied la Web Accessibility Initiative pour outiller les différents acteurs à tenir compte des besoins des personnes handicapées. Deux ans plus tard, la WAI proposait des lignes directrices en matière d'accessibilité des contenus Web, les Web Content Accessibility Guidelines 1.0[7] (ce qu'on appelle communément les WCAG 1.0). Ces directives ont été développées selon une démarche consensuelle avec différents acteurs de l'industrie des technologies, des universités, des gouvernements et des représentants du milieu de la déficience.

Depuis, plusieurs pays ont adopté ou se sont inspirés de ces directives pour élaborer des standards[8]. Ici au Canada, les obligations établis par les standards adoptés par le Conseil du Trésor en 2000 s'appliquent aux ministères et agences fédérales (Common Look and Feel Standards and Guidelines, conformité à WCAG 1.0, niveau de priorité 2)[9].

L'Ontario a emboîté le pas en 2001 en définissant des obligations pour le gouvernement provincial et en 2005 pour les sites Web tant au secteur privé que public[10]. L'Ontario met sur pied présentement le comité qui élaborera les normes pour les technologies de l'information, incluant les sites Web.

Au Québec, la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées a été mise à jour en 2004[11] et on y a inclus une obligation à l'effet que le gouvernement québécois « (...) établit, au plus tard le 17 décembre 2006 et après consultation de l'Office, une politique visant à ce que les ministères et les organismes publics se dotent de mesures d'accommodement raisonnables permettant aux personnes handicapées d'avoir accès aux documents, quelle que soit leur forme, et aux services offerts au public » (article 26.5).

Il y a quelques semaines, le Ministère des services gouvernementaux et l'Office des personnes handicapées du Québec ont amorcé une démarche pour doter le Québec d'un standard en matière d'accessibilité Web pour les ministères et organismes publics. Le réseau de l'enseignement (commissions et établissements scolaires) n'est pas visé par ce standard en devenir pour l'instant mais nous pouvons nous attendre à ce que cette situation change à l'avenir.

Notons finalement que d'autres organismes ont suivi l'exemple du W3C et élaboré des normes ou des spécifications pour tenir compte de l'accessibilité des technologies pour les personnes handicapées.

Les WCAG 1.0

Regardons rapidement quelles sont ces directives [12] qui ont tant contribué à rendre les ressources Web accessibles aux personnes handicapées partout à travers le monde.

WCAG 1.0 comprend 14 règles et 65 points de contrôle. Le temps ne nous permet pas de les explorer en détail mais retenons que ces règles reposent sur deux principes majeurs :

Assurer une transformation élégante

Cela signifie essentiellement de créer des pages qui restent accessibles malgré toutes les contraintes, qu'il s'agisse de handicaps, de circonstances professionnelles ou de contraintes technologiques. Par exemples :

Rendre le contenu compréhensible et navigable

Cela signifie de s'assurer que les contenus sont faciles à comprendre et faciles à naviguer. Par exemples :

Niveaux de priorité

Ces directives, visent trois niveaux d'accessibilité (désignés niveaux de priorité). Selon le niveau de priorité atteint, le contenu présentera un degré d'accessibilité répondant à des besoins différents. L'impact des niveaux de priorité sur les utilisateurs s'explique de la manière suivante :

La version 2.0[13] des WCAG est en chantier depuis presque 6 ans maintenant. Outre une mise à jour de certains points de contrôle considérés désuets, on a réécrit les directives pour qu'elles puissent s'appliquer à différentes technologies, changé substantiellement la façon dont sont présentées les règles et les points de contrôle et introduit 4 principes directeurs, i.e. que les contenus soient perceptibles, compréhensibles, utilisables et robustes.

Il fait signaler qu'une grande controverse entoure la version 2.0, qui est en dernier appel de commentaires publics, et plusieurs experts du domaine estiment que dans leur forme actuelle, les nouvelles directives sont trop complexes et difficilement applicables. Il serait étonnant que la version finale soit publiée avant l'année prochaine.

Développements

Pour le domaine du e-learning, certains acteurs ont appliqué ces notions d'accessibilité.

IMS Global Learning Consortium, qui développe des spécifications ouvertes en matière d'apprentissage virtuel, a développé une trilogie de spécifications concernant l'accessibilité des activités d'apprentissage virtuel[14].

IMS AccessForAll Meta-data specification - Décrire le contenu d'apprentissage pour le repérer et l'utiliser plus facilement :

IMS Accessibility for Learner Information Package specification - Profile personnel de préférences (visuel, auditif, appareil) pour une présentation sur mesure du contenu d'apprentissage :

IMS Guidelines for Developing Accessible Learning Applications - Des principes de conception, des liens à faire avec d'autres spécifications, l'utilisation de XML, le multimédia, les outils collaboratifs, etc.

L'ensemble de ces spécifications ont été développés avec des participants du W3C, du Dublin Core Metadata Initiative, et des partenaires des milieux gouvernemental, de l'éducation, des fournisseurs de contenus et des développeurs d'applications à travers le monde.

Ces travaux ont été repris par Dublin Core. Spécifiquement, le Dublin Core Accessibility Working Group[15] développe un cadre d'application comprenant :

On espère finaliser ces travaux en 2006. Pour plus d'informations sur ces divers travaux, on peut consulter le wiki[16] du groupe de travail.

L'ensemble de ces travaux ont été proposés à ISO et sont en révision pour devenir une norme ISO (Individualized Adaptability and Accessibility in E-learning, Education and Training Part 1: Framework; Part 2: Personal needs and preference statement; Part 3: Digital Resource Description).

Ces travaux sont menés par le Joint Technical Committee ISO/IEC JTC1, Subcommittee SC36, WG7[17].

Finalement, signalons que CANCORE a développé des lignes directrices pour la spécification AccessforAll de IMS, spécifiquement pour le Digital Resource Description, incluant des exemples d'implémentation et autres ressources.[18]

Application

Un exemple d'application de ces travaux est le projet TILE.[19]

TILE est un projet qui fut mené par le Assistive Technology Resource Center[20] de l'Université de Toronto, financé par Canarie, et qui visait à exploiter le réseau à large bande pour créer des environnements d'apprentissage qui se transforment selon les besoins des apprenants.

TILE propose donc un environnement qui permet la livraison d'objets d'apprentissage personnalisés, qu'il s'agisse de vidéos éducatifs, d'hypertexte, de formats XML, animation, simulation, etc.) Le contenu est structuré selon un modèle de conception qui maintien une cohérence de l'expérience d'apprentissage tout en supportant la déconstruction et la réutilisation du contenu d'apprentissage.

L'outil d'édition et l'interface du référentiel sont basés sur un cadre d'application permettant à l'enseignant moyen de baliser le contenu d'apprentissage en tant que sous-produit de la structure d'un plan pédagogique.

TILE est conforme aux spécifications d'interopérabilité et complètement accessible aux personnes handicapées.

Pistes

J'aimerais pour conclure vous proposer quelques pistes d'action.

Je vous ai parlé plus tôt des travaux qui se font au niveau québécois concernant l'élaboration d'un standard d'accessibilité pour les sites Web du gouvernement. Je pense qu'il sera important que vous suiviez ces travaux même si votre réseau n'est pas directement touché pour l'instant car on peut aisément prévoir que cette situation évoluera et il est plus avantageux d'y penser maintenant.

Aussi, je vous ai présenté des travaux que se font à l'international. Par exemple, IMS a produit des spécifications qui sont tout à fait applicables en ce moment et que d'autres, notamment le ATRC, ont déjà mis en oeuvre ou qui servent d'assises pour des organisations de normalisation, notamment ISO qui adoptera très prochainement les travaux précédemment mentionnés. Je crois que ces travaux peuvent vous servir d'inspiration aussi.

Finalement, je pense qu'il est urgent qu'on commence à produire des ressources d'apprentissage accessibles au Québec qui pourront, d'une part, être utilisées par les apprenants handicapés et qui, d'autre part, peuvent également avoir un rayonnement plus large dans la francophonie. Il existe des ressources qui peuvent vous accompagner dans cette démarche.

Cela peut répondre à des préoccupations concernant :

Contact

Catherine Roy, consultante
http://www.catherine-roy.net

Notes

  1. Rehabilitation International, Les personnes handicapées au sein de la société de l'information, commentaires sur le projet de déclaration de principes et de plan d'action du Sommet mondial sur la société de l'information, mai 2003 ()
  2. W3C, Introduction à l'accessibilité du Web ()
  3. W3C, Mission ()
  4. Office québécois de la langue française, Grand dictionnaire terminologique, 1992 ()
  5. « À partir de 1990, [Tim Berners-Lee] développe les trois principales technologies du Web : les adresses Web, le protocole HTTP et le langage HTML. Le premier serveur HTTP et navigateur Web sont créés. (...) La première Toile fut établie à l'adresse http://info.cern.ch/ et fut mise en ligne le 6 août 1991. » (Voir article sur Wikipédia) ()
  6. W3C, HTML 4.0 Specification, REC-html40-971218 ()
  7. W3C, Web Content Accessibility Guidelines 1.0, 1999 ()
  8. W3C, Policies Relating to Web Accessibility ()
  9. Conseil du Trésor, Gouvernement du Canada, Common Look and Feel Standards and Guidelines, 2000 ()
  10. Gouvernement de l'Ontario, Ontarians with Disabilities Act, S.O. 2005, Chapitre 11 (voir l'article 4) ()
  11. Gouvernement du Québec, Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, L.R.Q., chapitre E-20.1 ()
  12. Pour plus d'informations, consulter le site d'AccessibilitéWeb ()
  13. W3C, Web Content Accessibility Guidelines 2.0 Working Draft, version du 27 avril 2006 ()
  14. IMS Global Learning Consortium, AccessforAll Framework ()
  15. Dublin Core Accessibility Working Group ()
  16. Dublin Core Accessibility Working Group wiki ()
  17. ISO/IEC JTC1, Subcommittee SC36, WG7 ()
  18. CANCORE, Lignes Directrices pour la description de ressources numériques accessibles pour tous AccessForAll ()
  19. TILE, The Inclusive Learning Exchange ()
  20. Assistive Technology Resource Center, University of Toronto ()

21-06-2006